Actualités - Usine Despa à Theux

Mis à jour le 29 octobre 2018
Mise à jour du 29 octobre 2018

Un reportage Vedia/TéléVesdre, avec l'interview d'un de nos membres, M. Pierre-Louis François.


23 octobre 2018

L’asbl PIWB a souhaité réagir par rapport à l’évolution inquiétante d’un site important de notre patrimoine industriel, à savoir l’ancienne usine de lavage et de carbonisage de laines Despa à Theux.

Photo Jacques Crul.

 

Nous avons fait part de notre inquiétude au collège communal par rapport à l’évolution du site de l’ancienne usine Despa, située au coeur du village de Theux.
Il nous est en effet revenu qu’un permis de bâtir aurait été accordé pour construire un bâtiment à gauche de l’entrée principale, lorsqu’on se place face à celle-ci, et qu’une demande de démolition de la cheminée serait également parvenue ou serait en passe de parvenir au collège.

Nous savons que le morcellement du site en plusieurs propriétés ne facilite pas les choses mais ne percevons pas une volonté communale de prendre la main-mise sur ce bien et d’y réaliser une opération globale qui lui assurerait une évolution cohérente.
Ce lieu est pourtant idéalement situé pour répondre à divers besoins collectifs dans une perspective de jonction entre la gare et le centre de l’entité, et il contient en même temps une part importante de la mémoire de l’activité industrielle passée.
Nous nous interrogeons dès lors sur les raisons de ce désintérêt et craignons fortement de voir disparaître à terme un lieu significatif de notre patrimoine, alors qu’il présente des possibilités de reconversion intéressantes et qu’il n’est pas dénué de valeur esthétique.
A une époque où on déploie des efforts considérables pour développer l’esprit d’entreprise et pour intéresser les jeunes à l’entreprenariat et aux métiers
techniques, une des premières choses à faire ne serait-elle pas de leur inculquer une fierté de leur passé, et plus particulièrement de leur passé industriel, en mettant en valeur ce que les générations qui les ont précédées ont pu faire avec les ressources dont elles disposaient, et en les incitant de la sorte à poursuivre dans le même esprit ?

N’est-il pas temps de changer notre regard sur ces anciennes friches et de cesser de les voir comme des espaces à démolir et à assainir, plutôt que comme des lieux sur lesquels s’appuyer pour créer de véritables racines pour se redéployer ?
Viendrait-il à l’idée de démolir le clocher de l’église ou la tour du château sous prétexte que l’un ou l’autre demande un peu d’entretien pour les maintenir en l’état ?
Les raisons de maintenir une cheminée debout, comme symbole, comme point de repère, paysager et historique, ne sont-elles pas les mêmes ?

Photo Jacques Crul

 

Nous soumettons ici l'analyse patrimoniale réalisée par l'un de nos membres et défenseur actif du site, M. Pierre-Louis François.


Vers une harmonisation du site du lavoir-carbonisage Despa à Theux. Table rase du passé ou reconnaissance et mise en valeur d’une identité patrimoniale, comme tremplin économique, paysager, culturel et social ?

par Pierre-Louis FRANCOIS

Le site du lavoir-carbonisage « Constant Despa », situé à deux pas du centre-ville de Theux dérange. La raison de sa fragile conservation réside probablement dans le morcellement de la propriété. La volonté politique envisage un nettoyage global pour édifier logements et parking. Une bien maigre place semble réservée à l’histoire du lieu et à ses qualités architecturales, dans une réflexion considérant une possibilité de reconversion.

Illustration - Anne Junker 2018


Historique
Le complexe se situe dans la ville de Theux, en province de Liège, le long de la Hoëgne. Il occupe une portion de territoire allongée d’une surface de 12620 m² comprise entre la rivière et la voie ferrée. Theux se développe principalement dans le fond de la vallée, ce qui la rend fort visible depuis les principales voies d’accès venant de Verviers, Spa, Pepinster ou Sprimont. Le site Despa se situe à proximité immédiate du centre-ville. La cheminée qui le surplombe fait pendant à la tour de l’église classée. Le centre-ville est également classé. Le passé industriel de Theux a été marqué par l’extraction et transformation de minerais (fer, plomb, zinc) avec un développement de mines, de bas-fourneaux, forges, clouteries… Il a été également influencé par l’apogée de l’activité lainière, qui nous ramène au site dont il est question dans le présent article.

Le terrain qu’occupe l’entreprise appartenait durant l’ancien régime au prince-évêque de Liège. Un bief y a été creusé pour alimenter un moulin. Tous deux sont toujours présents aujourd’hui. Sous le régime français et avec l’abolition du droit de banalité, en 1795, l’état reprend toutes les propriétés du prince-évêque pour les vendre au profit de la république. Nous lisons qu’à partir de 1813, le moulin et son bief passent ainsi successivement dans les mains d’illustres familles, telles que Biolley, Grand’Ry, Pinto.

Le 2 octobre 1886, Constantin Despa, industriel à Verviers, « a l’autorisation de construire un lavoir en fonction du chemin de fer et d’une certaine hauteur sur sa parcelle de terrain ».

En 1902, il est fait mention de bâtiments érigés sur le site à l'occasion d'une acquisition en indivision par Emile et Yvan Despa d’un lavoir de laine à vapeur avec hangar et dépendances et voie de raccordement au chemin de fer.

En 1920, nous lisons qu’Emile Despa fait apport d’un lavoir de laine à vapeur, d’un second lavoir (?), d’une écurie, d’une conciergerie, (bâtiments toujours visibles à l’heure actuelle), pour fonder la « SA Constant Despa ».

La société profite des eaux de la Hoëgne, réputées pour ses qualités idéales pour le lavage de la laine. Les laines arrivent, brutes, de leur pays d'origine (Australie - le Cap - Buenos-Aires - Nouvelle Zélande…). La laine est lavée de façon industrielle.
Elle décante dans des bassins, toujours visibles avant d’être débarrassée de toutes les impuretés d'origine végétale avec la technique du carbonisage. La laine est alors stockée de l’autre côté de la rivière dans des entrepôts aujourd’hui transformés en logements. La SA Constant Despa compte 2 usines et occupe 300 ouvriers. On y a inventorié un lavoir, épaillage et carbonisage de laines avec 2 chaudières à vapeur, 2 machines à vapeur, 1 dynamo, 6 moteurs électriques, une pompe Worthington, 1 atelier de triage des laines, 4 battoirs de laines brutes, 6 Léviathan, 3 sècheuses, 4 échardonneuses.

En 1925, le bief du moulin est dévié pour déboucher au niveau de l’actuelle passerelle Taskin en vue de créer une turbine électrique qui remplacera la machine à vapeur.

La conciergerie, les écuries, la villa ont été occupés par les allemands durant la seconde guerre mondiale. Les entrepôts servaient au stockage de denrées alimentaires. Le 9 aout 1944, des bombes américaines dévastent la villa et les entrepôts. La structure portante en colonnes de fonte et poutrelles métalliques ont été conservées mais de nombreuses voussettes en briques ont été remplacées par du béton.

L’activité cessera dans les années 1960. Un acte de vente et une division parcellaire liée à la liquidation de la « SA Constant Despa » est daté du 1 aout 1973. A l’heure actuelle, 7 propriétaires se partagent le site avec nombre de servitudes et de mitoyennetés horizontales et verticales.

Etat de conservation
Zone 1 : En février 2012, un incendie a ravagé l’extrémité du site. Seul persiste le niveau inférieur, couvert d’une dalle en béton dont la stabilité est préoccupante.

Zone 2 : Deux façades en briques présentant des baies avec arc en plein cintre surbaissé délimitent l’espace vers la Hoëgne et vers la zone 01. Au niveau inférieur sont toujours visibles les bassins de décantation. Leurs lourdes portes métalliques ont disparu mais les systèmes de vannes et numérotation des cuves sont toujours présents. Le long de la Hoëgne, on imagine encore l’emplacement de la passerelle qui permettait le transfert de la laine.

Zone 3 : La façade vers les voies ferrées présente les traces d’anciennes baies, antérieures au rehaussement de la rue de la station. La structure des étages est formée d’un ensemble de colonnes en fonte dont les chapiteaux sont de facture intéressante. Des poutres métalliques supportent des voussettes en briques ou en béton. L’extrémité de la zone est délimitée par la cheminée dont le regard pour l’évacuation des cendres est toujours présent. Dans cet espace ont été érigés une série de garages construits en blocs de béton. Ils dénaturent la lisibilité de l’espace.

Zone 4 : La zone offre une cohérente lisibilité de l’activité passée. Le vestige principal concerne la cheminée, seul témoin du passé industriel theutois visible dans le paysage ouvert de la vallée. Sa partie supérieure rehaussée présente depuis quelques temps un hors-plomb inquiétant mais qui ne nuit pas nécessairement à la stabilité de l’ensemble de l’ouvrage.

Après le passage du porche le porche dont la voute montre une intéressante composition de briques, on débouche dans une cour intérieure. Les façades en briques présentent d’intéressantes baies tripartites étroites aveugles avec arc en plein cintre. Face à l’entrée se développe un volume rehaussé jadis transformée en cabine à haute tension. Mais nous pouvons supposer que ce fut initialement un point principal de chargement ou déchargement de la laine, avec son quai surélevé, marquant l’entrée des ateliers, coeur de l’activité industrielle. Derrière cet ouvrage sont toujours visibles une tranchée où se situait la machine à vapeur, et, sur la façade, le long de la rue de la Station, d’anciens déversoirs à charbon pour l’alimentation de la machine à vapeur. Les plafonds et couvertures sont en très mauvais état et menacent ruine.

Zone 5 : le long de la Hoëgne se développent aujourd’hui les activités d’une société d’assemblage d’appareils électro-ménagers. La façade donnant sur la Hoëgne et sur la cour, laisse encore à découvrir la typologie des anciennes façades, où l’on retrouve les étroites baies tripartites aveugles.

Zone 6 : le fronton millésimé, centré sur la façade ; l’axe sur l’entrée du site flanquée de 2 pilastres ; la cour pavée ; la conciergerie et les écuries forment un ensemble cohérent qui présente une certaine unité de style et d’époque. Un haut mur en maçonnerie de moellons et de briques, surmontés de petits pilastres, délimite la cour.

Un immeuble à appartements, en rupture totale avec l’échelle, le style et les matériaux de l'ensemble, a été érigé à l’emplacement de l’ancienne villa Despa. En 2018, un permis d’urbanisme a été octroyé pour la construction d’un immeuble de 9 appartements, qui viendra s’implanter contre la façade historique, rompant l’unité de lecture de l’entrée du site et de ses composants.

Enjeux de reconversion
Au plan de secteur, l’entièreté du site se situe en zone d’habitat.
Son extrémité (zone 1) offre des points de vue intéressants vers les collines avoisinantes, la Hoëgne, le barrage et le système d’éclusage pour l’entrée du bief qui demeure présent sous l’entièreté du site. Vu l’instabilité des plafonds, un démantèlement de la zone 1 paraît indispensable. La construction d’un immeuble à appartements avec parking au niveau des berges serait envisageable. Il serait important de conserver un gabarit n’excédant pas une hauteur totale de 3 niveaux en partant de la berge afin de conserver l’ouverture paysagère. A l’heure actuelle, une demande de permis a été déposé pour la construction de 17 appartements.

Dans une perspective écologique et d’autonomie énergétique, cette zone offre également la possibilité d'implanter une microcentrale hydroélectrique sur le bief traversant le site qui pourrait être complété par la restauration du barrage et des écluses.

Concernant les zones 2 et 3, les box de garages devraient être éliminés. La redécouverte d’un plan ouvert, structuré par les colonnes en fonte permettrait d’accueillir une activité économique. Les bassins de décantation mériteraient d’être conservés et mis en valeur dans le cadre du projet. Il serait possible de réhabiliter les niveaux supérieurs en lofts, à l'image de ce qui a été réalisé en face, sur le site Bodart et Gonay.

La zone 4, située entre la cheminée et l’entrée du bâtiment mériterait un projet incluant conservation, mise en valeur et réhabilitation de l’espace en tant que transmetteur de mémoire et d’histoire. Le développement d’un pôle socio-économique dans ce cadre historique constituerait un atout pour l’économie locale et le projet de vivre ensemble à Theux.

La cheminée pourrait être démolie dans sa partie haute, plus récente et instable. Les cerclages dont la corrosion a entrainé la chute d’un élément devraient être remplacés. Les toitures et planchers environnants, instables, devraient être démolis au profit d’une cour intérieure en plein air. L’ensemble pourrait ainsi former un espace urbain ouvert au public où pourraient se développer des activités de type HoReCa, divertissement, associatif, etc. Cet espace engendrerait une intéressante transition entre la gare, de nouveaux parkings et le centre-ville accessible par la passerelle Taskin.

Le porche devrait être conservé comme entrée marquante du projet, de même que les façades qui l’encadrent. La cabine électrique, les façades intérieures, la fosse, le bief (qui pourrait être réalimenté et ouvert par endroits), la cheminée dégagée devraient être conservés. Tous ces vestiges racontent l’histoire du lieu et sont vecteurs de transmission aux générations futures. Ils ont également un enjeu éducatif.

Certes, ces vestiges de l’activité industrielle passée ont été dénaturés, une restauration ou conservation en tant que telle n’est pas possible. Mais de nombreux témoins architecturaux sont toujours debout et méritent d’être mis en valeur.

Le permis d’urbanisme délivré pour la construction d’un immeuble contre la façade d’entrée est une décision qui va à l’encontre d’une mise en valeur de cet ensemble architectural intéressant, en rompant l’unité de la façade historique.

La ville de Theux a assurément beaucoup à gagner à valoriser un site industriel qui a largement contribué à son économie et à son histoire. Plus qu’un chancre à effacer au profit exclusif de logements et de parkings, il mérite d’être intégré dans une réflexion urbanistique et patrimoniale globale. Les exemples réussis de reconversion de sites industriels en ruine sont multiples, et il est encore temps de permettre aux établissements « Constant Despa » de raconter une nouvelle histoire sur les traces de son activité passée. Certes, le morcellement parcellaire entraine une difficulté de planification. De même, la vision de ce site délabré peut déranger. Mais est-ce une raison pour oublier et effacer tout un pan de notre histoire ?

Il n’est pas question ici de remettre en question l’édification sur le site de logements, parking, etc. Mais nous pensons que ces constructions seraient enrichies par une intégration dans un contexte historique de valeur, ce qui permettrait de répondre à d’autres besoins en termes de services, espaces publics conviviaux, éducation, par la valorisation de notre patrimoine commun.

Pierre-Louis FRANCOIS

Bibliographie
* COIBON (Éric), collection privée non publiée
* BERTHOLET (Paul), historien, compilation historique non-publiée
* Fiche d’inventaire des sites à réaménager, Code ISA : 63076_A_007, http://lampspw.wallonie.be/dgo4/site_sar/index.php/isa/afficherSar?Id=63076_A_007&sortCol=2&sortDir=asc&start=0&nbElemPage=10&communeSelected=&typeSarSelected=undefined&filtre=DESPA, visité le 01/09/2018